Le premier Festival mondial des arts nègres (Dakar, 1er-24 avril 1966) fait écho au combat culturel de la revue Présence africaine et notamment au second Congrès des artistes et écrivains noirs de 1959 (Rome) qui recommandait de concevoir un festival sur le sol africain qui comporterait des chants, de la danse, du théâtre et une exposition d'art organisée par des Africains pour « démontrer la vitalité et l'excellence de la culture africaine ».
Initialement, il devait avoir lieu en 1961 pour fêter l'indépendance du Sénégal et symboliser les liens entre les libertés politiques et les libertés culturelles. Dès juillet 1960, Alioune Diop (fondateur de Présence africaine), à qui avait été confié la direction culturelle de ce projet, sollicite Michel Leiris qu'il connaissait depuis 1945 : « [&] nous envisagerions de faire appel aux artistes noirs du monde entier, et aimerions nous assurer de votre collaboration. Nous vous serions obligé de bien vouloir nous indiquer dans quelle mesure nous pourrions compter sur votre concours et sur celui des artistes de votre pays ». Après l'échec de cette première initiative, Léopold Sédar Senghor, président du Sénégal, décide de relancer le projet en 1963, en s'entourant de spécialistes africains et européens. Il crée l'Association du Festival mondial des arts nègres, présidée par Alioune Diop, et s'associe officiellement avec la France et l'Unesco. Là encore, Diop propose à Leiris d'intégrer le comité d'experts culturels.
Le 1er avril 1966, lorsque le premier Festival mondial des arts nègres est inauguré à Dakar, les médias du monde entier sont là pour assister au premier grand événement culturel organisé en Afrique par un jeune État indépendant . La programmation révèle à la fois l'ambition panafricaine du festival et la volonté de l'Afrique et de la diaspora de présenter des pratiques artistiques aussi bien classiques que contemporaines : danses et chants folkloriques, concert de Duke Ellington, spectacle de l'American Negro Dance Company, Nuit des Antilles animée par Joséphine Baker, Negro Spiritual, Nuit brésilienne& Plusieurs spectacles populaires et pièces de théâtre à thèmes historiques sont également proposés : Le Spectacle féerique, fresque historique de la traite négrière, La Tragédie du roi Christophe d'Aimé Césaire ou encore Les Derniers Jours de Lat Dior d'Amadou Cissé Dia.
La première exposition d'art africain d'envergure internationale, « Art nègre : Sources, Évolutions, Expansion », est présentée au musée dynamique de Dakar, et sera reprise au Grand Palais, à Paris, en juin 1966. Organisée par des spécialistes africains et français, elle rassemble des œuvres issues de collections publiques et privées du monde entier. Cette exposition proposait d'appréhender l'art africain d'un point de vue esthétique et historique. À Dakar, plus de vingt mille visiteurs viennent admirer des objets de leur patrimoine culturel, conservés en grande partie à l'étranger ; au Grand Palais l'exposition acueillera cinquante mille visiteurs. La création contemporaine africaine est, quant à elle, présentée au Palais de justice de Dakar, dans une autre exposition importante organisée par le peintre Iba N'Diaye : « Tendances et Confrontations ». Les artistes africains-américains sont aussi présents dans « Ten Negro Artists from United States ».
Parallèlement à tous ces événements se déroule le colloque « Fonction et signification de l'art nègre dans la vie du peuple et pour le peuple » (du 31 mars au 8 avril 1966) qui rassemble des historiens de l'art, des anthropologues, des écrivains et des artistes de toutes les nationalités pour débattre des productions artistiques de l'Afrique. Si, dans numéro consacré par la revue Présence africaine à « l'art nègre » en 1951, les intellectuels européens sont les seuls à s'exprimer, ce n'est pas le cas lors de ce colloque : Paulin Vieyra, Katherine Dunham, Langston Hughes, Wole Soyinka, Engelbert Mveng, Lamine Diakhaté prennent la parole aux côtés de Jean Laude, Roger Bastide, William Fagg& Les débats portent sur trois thématiques : tradition africaine, rencontre de l'art nègre avec l'Occident, problèmes de l'art nègre moderne. Michel Leiris intervient dans le cadre de la seconde, avec la communication « Le sentiment esthétique chez le Noirs africain ». L'année suivante, son intervention intègre un chapitre de l'ouvrage Afrique noire, dédié à son ami Aimé Césaire et coécrit avec Jacqueline Delange pour la collection L'Univers des formes dirigée notamment par André Malraux, lui aussi présent au festival. C'est à ce même colloque qu'Aimé Césaire prononce un discours important. Il revient sur les enjeux politiques et historiques du mouvement de la négritude attaqué depuis le début des années 1960 par la jeune génération d'écrivain africains : « La littérature de la négritude a été une littérature de combat, une littérature de choc et c'est là son honneur ; une machine de guerre contre le colonialisme et le racisme, et c'est là sa justification. Mais ce n'est là qu'un aspect de la négritude, son aspect négatif . » Dans ce discours, Césaire assume son passé avec un regard critique, mais il pense surtout à l'avenir : « C'est pourquoi, aux hommes d'Etat africains qui nous disent "Messieurs les artistes africains, travaillez à sauver l'art africain", nous répondons "Hommes d'Afrique et vous d'abord, politiques africains, parce que c'est vous qui êtes les plus responsables, faites-nous de la bonne politique africaine, faites-nous une bonne Afrique, faites-nous une Afrique où il y a encore des raisons d'espérer, des moyens de s'accomplir, des raisons d'être fiers, refaites à l'Afrique une dignité et une santé, et l'art africain sera sauvé". »
Cet évènement a été mis en valeur à l'occasion de deux expositions au musée du quai Branly, l'une présentée en 2009
Présence Africaine : une tribune, un mouvement, un réseau
et l'autre en février 2016
Dakar 1966,
organisée en collaboration avec le groupe PANAFEST Archive.
Publications issues du festival
colloque
Premier Festival mondial des Arts nègres. Colloque sur l'Art nègre, Rapport
: Tome 1, Paris, Editions Présence Africaine,1967
Premier Festival mondial des Arts nègres. Colloque sur l'Art nègre, Volume II,
Paris, Editions Présence Africaine,1971
Expositions
Art Nègre : Sources, Evolution, Expansion,
Dakar, Musée Dynamique ; Paris, RMN,1966
Dix artistes nègres des Etats-Unis = Ten negro artists from the United States : premier festival mondial des arts nègres
, Dakar, Sénégal, 1966 first world festival of Negro arts, Dakar, Senegal, 1966
Chojnacki, Stanisław
Ethiopia traditional art : First World Festival of Negro Arts
, Dakar-1966 Addis Ababa : Berhanena Selam Printing Press, 1966
Livre d'or
Premier festival mondial des arts nègres.
Dakar, Premier Festival des Arts Nègres-Paris, Secrétariat d'Etat aux Affaires Etrangères chargé de la coopération,1966
Programmes
Premier festival mondial des arts nègres,Dakar, 1er / 24 avril 1966,
Dakar, Société africaine de culture, Commissariat national du Festival-Commission de presse, 1966
Sène Moustapha
La lutte sénégalaise
. Programme, Dakar, le 10 avril 1966, Dakar : Comité de participation du Sénégal au 1er Festival mondial des arts nègres,1966
Autres
Le Cameroun au Premier festival mondial des arts nègres de Dakar
,Yaoundé : Centre de production de manuels et d'auxiliaires de l'enseignement,1966
The African contribution to Brazil
,Cultural and information department of the Brazilian ministry of foreign relations. on the occasion of the First Festival of negro arts, Dakar, 1966
Guariglia, le P. Guglielmo
L'arte dell'Africa nera e il suo messaggio, dopo il festival di Dakar (1-24 aprile 1966),
Parma : Edizioni ISME,1966
Walker-Deemin, Henri
Ecrivains, artistes et artisans gabonais : Festival mondial des arts nègres Dakar
, 1e au 24 avril 1966
, Collection :Collection "Arts et lettres, Libreville : Institut pédagogique national
Publications et articles sur le festival et ses problématiques
« Our cultural heritage, including our art and crafts. World Festival of Negro Arts, Dakar 1966. ». Special issue of Nigeria Today, 2. Lagos, Federal Ministry of Information, 1966
«Présence Africaine. Les conditions noires : une généalogie des discours», Gradhiva, n°10,2009
«Festivals et biennales d'Afrique : machine ou utopie ?» Africultures 2008/2 (n° 73). 248 pages.
Ficquet Eloi and Gallimardet Lorraine « « On ne peut nier longtemps l'art nègre » , Gradhiva, 10 | 2009, 134-155.
Harney, Elizabeth
Senghor's Shadow. Art, Politics and the Avant-garde in Senegal,
1960-1995 , Durham and London, Duke University Press, 2004
Hesseling, Gerti.
Histoire politique du Sénégal
. Institutions, droit et société. Paris, Karthala, 1985.
Murphy David, «Culture, empire, and the postcolony : from la Françafrique to le Festival mondial des arts nègres (1966 and 2010), in Francopshère, 2012
Mveng, Engelbert « Structures fondamentales de l'art négro-africain », Présence Africaine, 49, 1964, 116-128
« L'art africain », Présence Africaine, 52, 1964, 104-127
Présence Africaine
« Le 1er Congrès International des Ecrivains et Artistes Noirs (Paris-Sorbonne 19-22 Septembre 1956) : compte-rendu complet », numéro spécial de Présence africaine 8-9-10, juin-novembre, 1956
« Contributions au 1er Congrès des Ecrivains et Artistes Noirs », numéro spécial de Présence Africaine 14-15, juin-septembre,1957
« Deuxième Congrès des écrivains et artistes noirs : Rome, 26 Mars-1er Avril 1959 », tome 1 : « L'unité des cultures négro-africaines », numéro spécial de Présence africaine 24-25,1959
« Deuxième Congrès des écrivains et artistes noirs : Rome, 26 Mars-1er Avril 1959 », tome 2 : « Responsabilités des hommes de culture », Présence africaine, n° 27-28, février-mai (numéro spécial), Paris, 1959
Sow Huchard, Ousmane « Le Musée Dynamique », in Friedrich Axt & El Hadji Moussa Boubacar Sy (éd.), Anthologie des Arts Plastiques Contemporains au Sénégal, Francfort-sur-le-Main, Museum für Völkerkunde : 54-56, 1989
« Le 1er Festival Mondial des Arts Nègres, Dakar, 1966 », in N'Goné Fall & Jean-Loup Pivin (dir.), Anthologie de l'art africain du XXème siècle, Paris, Editions Revue Noire : 220-229,2011
Snipe, Tracy D.
Arts and Politics in Senegal, 1960-1996.
Trenton (NJ), Africa World Press,1998
Archives
Fonds Michel Leiris (Laboratoire d'antropologie sociale)
Fonds de la maison d'édition Présence Africaine (L'Institut mémoires de l'édition contemporaine (IMEC)
Archives Nationale du Sénégal